En latin, curriculum vitae (CV) signifie Chemin de Vie. Découvrir cela il y a 5 ans, au début de RH Autrement, m’a réjouit! Enfin je comprenais cet attachement à l’idée du CV “reflet valorisant, sincère et exhaustif” de notre chemin de vie professionnel mais aussi personnel. Malheureusement, je vois encore trop souvent des CV réducteurs qui desservent les personnes au lieu d’être un support sur lequel elles peuvent s’appuyer dans leur démarche. Pire, parfois ils “orientent” les recherches d’emploi dans des directions bien différentes de celles que la personne veut prendre. Voici un cas concret pour illustrer ce constat, avec une jeune femme désireuse de devenir comptable.
Sommaire
CV initial constat
En recevant cette jeune femme en rdv pour refaire son CV, plusieurs choses m’interpellent :
- sa formation solide en comptabilité, couplée à des études de bureautique, d’informatique et de lettres qui lui donnent des compétences très complémentaires et une polyvalence importante
- son expérience en import-export, visiblement minimisée et reléguée en fin de CV alors qu’elle constitue une expérience professionnelle à part entière
- la trop grande place prise par la formation alors que cette jeune femme a fini ses études en 2005 et n’est donc plus une jeune diplômée. Comme si on avait voulu “délayer” pour remplir l’espace
- le poste recherché qui ne correspond pas du tout, en apparence, avec son profil et ses aspirations professionnelles
Bref, ce CV est bancal et ne la valorise pas du tout. Pire, il la dessert et l’oriente vers des postes à priori sans rapport avec ses compétences et ses aspirations.
Sa vraie histoire professionnelle
En 2000, alors qu’elle poursuit des études de lettres, cette jeune femme commence à travailler dans le magasin familial. Dans la foulée, elle suit une formation en bureautique. Elle quitte le magasin afin de reprendre des études de comptabilité,une matière qui la passionne et qu’elle a découvert en s’occupant de la gestion du magasin. Elle les couple avec des études d’informatique. A la fin de ses études, elle crée sa propre activité de vente de marchandises entre le Sénégal et la Mauritanie, une entreprise périlleuse qu’elle développe seule.
Contrainte de quitter le Sénégal et de se réfugier en France en 2011, elle se bat dès son arrivée pour obtenir un statut de réfugié et des papiers. Dès leur obtention en 2012, elle travaille pour l’ADMR (service à domicile pour des personnes âgées) et propose des services de tressage africain dans les salons de la capitale.
Son envie? Reprendre des études de comptabilité en France puisque ses diplômes sénégalais ne sont pas reconnus, pour se mettre à niveau et trouver un emploi dans cette branche.
Pourquoi ce CV?
Pourquoi un tel décalage entre la réalité de son parcours et de ses envies, et son CV? Parce qu’il lui a été conseillé :
- de cacher son expérience dans le magasin familial au motif que ce n’était pas “déclaré” et qu’elle n’avait pas de contrat de travail
- de lisser le plus possible son expérience “import-export” au motif qu’elle “pouvait faire peur à un employeur français” et que “si elle n’était pas en règle au niveau des charges et des papiers règlementaires liés à cette activité au Sénégal, elle aurait des problèmes en France” (sic!)
- de ne pas s’accrocher à chercher dans la comptabilité vue que ses diplômes sénégalais n’étaient pas reconnus en France
- de se contenter de chercher des emplois de serveuse, coiffeuse, vendeuse, seuls emplois auxquels elle pourrait prétendre au vue de son parcours…
Nouveau CV nouvelles perspectives
L’accompagnement a permis de remettre chaque expérience à sa place, partant du principe que toutes avaient de l’importante et qu’aucune n’avait à être dissimulée, ce quelque soit le contexte dans lequel elle avait été effectuée. Certes, le Sénégal et la France n’ont pas le même mode de fonctionnement. Et alors? Les compétences et les réalisations de cette jeune femme n’en sont pas moins riches et importantes. Ses récits de négociation et d’achats de produits en Mauritanie montrent qu’elle est une vraie femme d’affaire, courageuse et téméraire. Son expérience d’aide à domicile et de coiffeuse montrent son envie d’avancer et de trouver sa place dans son pays d’accueil. Etc.
Cacher certaines expériences, minimiser les réalisations et les compétences voir les ignorer sciemment revient à :
- l’amputer d’une partie de son histoire et nier tout ce qu’elle a vécu jusqu’ici
- la contraindre à mentir par omission, ce qui la fragilise dans sa recherche d’emploi puisque le recruteur se demande ce qu’elle cache (il n’est pas idiot, il sent bien les non-dits)
- lui faire croire que ses expériences n’ont pas de valeur puisqu’elles ne sont pas reconnues
- abimer sa confiance en elle et sa légitimité
- l’empêcher de suivre et de vivre ses envies en restreignant son champs de possible à un univers très limité, sans lui offrir aucune perspective d’en sortir.
Et aujourd’hui?
Cette jeune femme a intégré une formation de remise à niveau et obtenu son diplôme de comptabilité français. Après un stage dans le service comptable d’une entreprise qui a fini de la conforter dans son envie de continuer dans cette voie, elle a spontanément démarché des entreprises et obtenu un contrat aidé à mi-temps en quelques semaines. Aujourd’hui, elle aimerait trouver un emploi à plein temps. En attendant, elle continue ses missions d’aide à domicile et de coiffure pour subvenir à ses besoins.
Chapeau bas et respect Mademoiselle 🙂