Il y a quelques semaine, le hasard a voulu que ma route croise celle d’une femme, hôtesse de l’air sur Air France. 20 ans d’ancienneté, un métier qu’elle aime et une entreprise à laquelle elle est affectivement attachée, dans laquelle elle s’est investie. Oui mais voilà. Désabusée de voir les conditions de travail se dégrader, usée de devoir toujours “faire plus” avec moins, sans qu’aucun dialogue ne soit possible, elle vient de demander un congé sabbatique pour se reconvertir.
Alors je me suis rappelé d’un texte écrit par Eric-Emmanuel Schmitt qui m’avait marquée à l’époque de “l’affaire d’Air France” en octobre 2015. En voici des extraits :
[…] Loin de moi l’idée de justifier la violence physique, aussi bête qu’injuste et sans issue. Si les hommes ont inventé le langage, c’est bien pour traiter les conflits à un autre niveau, celui du débat élaboré, allant de l’entente à la rupture en passant par le compromis. Cependant, une phrase de Marcel Proust passait en boucle dans mon esprit et venait tempérer ce concert d’indignations. : “L’indifférence aux souffrances qu’on cause est la forme terrible et permanente de la cruauté.” Cela me renvoyait à l’image d’une hôtesse en quête d’explications ce même jour, à laquelle les cadres ne portaient pas attention. Cela m’évoquait ces hommes et ces femmes, mis en danger financier et vital, qui perdront leur emploi parce que l’indifférence managériale les a réduit à une ligne comptable.
Proust a raison : nous vivons dans une société cruelle. Il n’y a pas pire agression que l’indifférence. Et il n’y a pas plus courant !
Quand on pratique l’indifférence envers les gens, on indique que nos semblables ne sont pas nos semblables mais “les autres”. On s’isole dans une prétendue supériorité, on se coupe du lien, des sentiments, on se déifie de façon illusoire. On sème le mal. On instaure une humanité de coexistences sans partage, sans sympathie, sans compassion, bref une humanité sans humanité.
Malheureusement, je ne vois jamais l’indifférence faire les gros titres de la presse. Ce poison a, comme grande force, de demeurer invisible…”
La vidéo de la salariée d’Air France a laquelle il fait référence dans cet article devient difficile à trouver sur le web. Vous pourrez la visionner en fin d’article. Elle me renvoie aux nombreuses réunions de comités d’entreprise auxquelles j’ai assisté en tant que rédactrice de débat externe (pour rédiger les comptes-rendus de réunion), certaines tellement violentes que j’en ressortais ébranlée alors même que je n’étais pas directement concernée.
Dialogue de sourd où les incompréhensions, les frustrations et les colères s’accumulent. Des questions éludées, des réponses qui noient le poisson ou qui sonnent comme une fin de non recevoir.
Des directions qui opposent des organisations théoriques, des chiffres et des tableaux à un personnel qui, sur le terrain, ne vit souvent pas du tout la même réalité. Des situations de souffrance au travail maintes fois signalées mais non résolues, car souvent non écoutées. Parce que l’interlocuteur a ses propres croyances sur la situation et sur la personne, parce qu’il n’a pas le temps ou pas l’envie de s’attarder sur un sujet qui dérange et qui risquerait de l’emmener sur une pente savonneuse.
Il arrive aussi que l’employeur tende la main au dialogue, propose des solutions et se heurte soit à la résistance et la méfiance d’élus échaudés qui ne croient plus à sa sincérité, soit à des élus arcboutés sur leurs acquis et les anciens fonctionnements.
Heureusement, il arrive (beaucoup trop rarement) d’assister à des réunions où les deux parties dialoguent vraiment : elles s’écoutent, se parlent, essaient de comprendre l’autre, argumentent calmement et proposent des solutions. Elles ne tombent pas toujours d’accord, mais au moins elles dialoguent. Chacun écoute et entend l’autre.
Dans ces réunions, certains RH ou responsables de service jouent la transparence, avouant qu’ils n’ont aucune marge de manoeuvre et aucun pouvoir, que les ordres viennent “d’en haut”, souvent d’autre pays pour les grands groupes. Je confirme pour l’avoir vécu quand j’étais RH en entreprise. Sur le papier, cela ne change rien malheureusement. Dans la réalité, cette transparence change beaucoup de chose. Elle permet de comprendre, de se comprendre.
Air France : le désarroi d’une employée lors du… par LePoint
La communication est importante oui merci Nathalie. Et ai diable l’indifférence, revenons à des valeurs nobles…
Bonjour,
je lis attentivement votre article (vos articles) au moment où je suis en reconversion professionnelle. Je viens d’être licenciée d’une grande enseigne française connue mondialement et j’avoue avoir mis beaucoup d’énergie dans mon travail, dans cette entreprise et surtout dans les valeurs dont elle nous rabattait les oreilles et auxquelles je croyais dur comme fer. Etant une personne positive et résolument tournée vers l’avenir, j’arrive à ne pas m’effondrer devant le chaos que je viens de vivre, même si j’avoue vivre des moments de régime moindre.
Je vis depuis mon licenciement un enfer. Je découvre un visage de cette entreprise à laquelle je croyais qui me dérange. Je découvre une entreprise irrespectueuse et diffamante. Je découvre une entreprise qui demande à ses collaborateurs de véhiculer des valeurs qu’elle-même ne véhicule pas.
Après la lecture de votre article, j’ai reconnu nombres de choses dont vous parlez. L’entreprise dont les dirigeants ou “têtes pensantes” sont à des lieux de comprendre la réalité du terrain. Ils décident, on exécute. C’est terrible, puisqu’il n’y a pas de dialogue. Et le plus terrible à mon sens, ce sont ces entretiens de progrès à sens unique qui ne peuvent être impartiaux. Tout n’est que question de personnes, et chacun restant campé sur ses positions, il faut beaucoup de diplomatie mais aussi de trivialité, de mensonges pour sortir indemne de ces “fausses” mise à plat.Il ne faut pas nier l’évidence, ces entretiens ne sont que mensonges. Le supérieur est-il réellement ouvert au dialogue alors qu’il sera et qu’il le sait celui qui met sur le papier ce qu’il décide. Quel dialogue y a-t-il réellement ?
A partir de ce moment-là, tout est déjà biaisé. Si au niveau le plus bas de la hiérarchie, le premier supérieur n’est pas capable de dialogue, les remontées sont faussées. L’impossibilité de dialogue commence à mon sens à ce niveau là. L’absence de réel contrôle entraîne cette indifférence aux souffrances, et ce que vous définissiez si bien “on s’isole dans une prétendue supériorité, on se coupe du lien, du sentiments, on se déifie de façon illusoire”, on d’autres termes on devient un chefaillon qui n’existe que par la crainte qu’il produit et non pas ces compétences et son efficacité. L’absence de dialogue dans les entreprises est, il me semble, souvent lié à cette attitude de supériorité qui entraîne un refus du dialogue par un mépris de l’autre.
Je vous remercie pour vos articles fort intéressants.
Bonjour Catherine.
Merci à vous pour votre témoignage. Prenez le temps de prendre soin de vous et de digérer cet épisode douloureux.