De quels recours disposent un salarié, victime d’un burn-out en lien direct avec sa situation professionnelle, pour se protéger, faire cesser la situation qui le rend malade, obtenir le cas échéant réparation du préjudice subi ? Même si le burn out n’est pas légalement reconnu en tant que tel, quelques solutions existent.
Le but de cet article n’est pas de détailler chacune des pistes mais de vous éclairer sur ce qui existe et surtout, comment s’y retrouver. Ensuite, fonction de votre situation personnelle, vous pourrez choisir d’en creuser certaines. Cet article est assez “juridique”, par la force des choses. Je vais essayer de le simplifier le plus possible. Si jamais quelque chose n’est pas clair, n’hésitez pas à poser vos questions en commentaire.
Sommaire
Faire reconnaitre la responsabilité de l’employeur
Risques psychosociaux et obligation de sécurité de l’employeur
Le burn out fait partie des Risques Psychosociaux (RPS) au côté notamment du harcèlement moral et sexuel, du stress (pour un rappel sur les multiples causes du burnout voir comprendre le syndrome d’épuisement professionnel).
Les RPS sont plus ou moins définis comme « des risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (je suis désolée de constater une nouvelle fois, en faisant des recherches pour écrire cet article, que ce terme utilisé à tout va n’est pas clairement défini…).
Dans le domaine des RPS, l’employeur a une obligation générale de sécurité définit par les articles L 4121-1 et suivants du code du travail. Le premier article prévoit que ” L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. […] L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes”.
L’employeur a donc l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Les juges considèrent qu’il s’agit d’une obligation de résultat et ils s’appuient dessus aujourd’hui pour reconnaitre le burnout. Attention, bien qu’il s’agisse d’une obligation de résultat, la victime doit faire apparaitre, dans son histoire, le lien entre son travail et son état. Petit à petit, la situation évolue grâce aux décisions rendues par les juges.
Les différentes protections du salarié décidées par les juges
1°) Dans un arrêt (une décision) de 2013, les juges ont décidé qu’un salarié ne pouvait pas être licencié pour des absences prolongées ou répétées qui perturbent l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, quand son arrêt maladie est due à une surcharge de travail (un des facteurs du burnout) qui a entrainé une dégradation de son état de santé.
[ Il est de jurisprudence constante que le salarié en arrêt de travail de longue durée ou de façon répétée peut être licencié au motif de la désorganisation de l’entreprise engendrée par l’absence prolongée (ou les absences répétées) liée à une maladie non professionnelle et nécessitant son remplacement définitif. Toutefois, dans un arrêt rendu le 13 mars 2013, la Cour de cassation qualifiait d’injustifié le licenciement pris sur ce motif lorsque l’absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat à l’égard de ses salariés. Ainsi, les juges du fond devront toujours rechercher s’il n’y a pas un lien entre la maladie et un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat – Cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22082 FSPB]
Imaginons qu’une personne soit recrutée pour assurer deux postes de responsable de service. Elle s’épuise à faire fonctionner les deux services et encadrer les deux équipes. Sa hiérarchie est parfaitement au courant et laisse faire sans proposer de solution. Se faisant, l’employeur manque à son obligation de sécurité. Si cette personne est victime d’un épuisement professionnel et doit s’arrêter de manière prolongée, son employeur pourrait vouloir la licencier pour embaucher quelqu’un d’autre, au motif que “son absence perturbe le service”. En cas de “maladie normale”, c’est possible. Mais quand la maladie est liée à un burnout, les juges considèrent que ce motif de licenciement ne peut être utilisé.
2°) Les juges considèrent aussi que le salarié peut demander la rupture de son contrat aux torts de l’employeur en intentant une action en résiliation judiciaire. A l’appui de sa demande, qui entrainera la fin du contrat de travail, il invoquera les facteurs de burnout qu’il subit et le fait que son employeur ne remplit pas son obligation de résultat de sécurité. Attention, la résiliation judiciaire est une démarche très particulière qu’il convient d’examiner et de préparer avec le plus grand soin avant d’agir.
Ne pas confondre burnout et harcèlement moral
Le harcèlement moral peut mener au burnout. Mais tout burnout n’est pas lié à du harcèlement moral. Tout mal-être et toute souffrance ressentis en lien avec son travail est bien réel. Mais il n’est pas pour autant du à des faits de harcèlement (voir cet article sur la preuve du harcèlement). De nombreux autres facteurs entre en ligne de compte : la surcharge de travail, une mauvaise organisation de l’entreprise, des horaires à rallonge, des objectifs mal définis et/ou inatteignables… Le fait que des travailleurs indépendants qui travaillent seuls souffrent aussi de burnout montre bien que les éléments qui conduisent à cet état ne sont pas uniquement lié à un harcèlement moral subi dans la sphère professionnel.
Cette décision de la cour d’appel de Versailles (15 janvier 2008) illustre bien cette situation. La cour avait mandaté un expert judiciaire pour rechercher si l’état de santé de Madame X présentait les caractéristiques d’un harcèlement subi dans un contexte professionnel. En résumé, l’expert a exclu le harcèlement mais il a reconnu l’existence du burnout en lien direct avec l’organisation du travail. Les juges ont conclus confirmer l’exclusion du harcèlement, en précisant que “toutes les pathologies de surcharge professionnelles ne se réduisent pas à l’hypothèse du harcèlement”. Ils ont reconnu le burnout considérant que « L’accroissement progressif d’activité de l’ association en matière de comptabilité et gestion de plusieurs associations, induit une sollicitation constante des compétences de Madame X et de sa bonne volonté emportant une hyperactivité qui a pour conséquence un épuisement physique et moral. […] Il résulte de ces éléments que le lien entre le travail de Madame X et la pathologie qu’ elle présente, qui conduira à l’avis d’inaptitude médicale par le médecin du travail, est direct et essentiel … est ainsi caractérisé le manquement de l’ AIHROP à son obligation de sécurité de résultat en matière de santé et de sécurité envers Madame X » (pour une étude approfondie, voir cet article).
En cas de contentieux et de démarche pour faire reconnaitre la responsabilité de l’employeur, il est fondamental de ne pas tomber dans cette confusion. Les deux actions en justice ne se bâtiront pas de la même manière selon qu’elles reposent sur le harcèlement moral ou sur le burnout. Se tromper de qualification juridique entraine un rejet de la demande qui ne peut être qu’incompris par la victime qui reste avec une souffrance non reconnue. Et ce même si les juges voient, entendent et comprennent cette souffrance (voir cet article sur les limites du droit et de la justice).
Faire reconnaitre la maladie pro ou l’accident du travail
La maladie professionnelle
A ce jour, le burnout ne fait toujours pas partie des tableaux des maladies professionnelles. Il en a été question dans le projet de loi Rebsamen sur le dialogue social, mais le projet n’est pas passé en l’état. Lobbying? En tout cas, pour avoir “par hasard” (en vérité, je ne crois plus au hasard) assistée deux ou trois fois à la commission en charge des tableaux de maladies professionnelles, les représentants employeurs sont plus que réfractaires à tout ajout sur le sujet. Et pour cause.
Cette reconnaissance permettrait de faire supporter le coût du burnout non pas au régime général de la Sécurité Sociale, comme c’est le cas actuellement, mais à la branche accidents du travail-maladies professionnelles (donc, indirectement, à l’employeur). Sans oublier qu’en cas de maladie professionnelle, les montants d’indemnisation sont majorés, l’employeur peut être tenu de verser un complément d’indemnisation et la durée de prise en charge est plus importante (voir cet article)
Pour faire reconnaitre la maladie professionnelle, la victime d’un burnout doit donc aujourd’hui engager de longues démarches. Pour en savoir plus, vous pouvez lire cet excellent article de l’association France burn out.
L’accident du travail
La reconnaissance du burnout comme accident du travail n’est elle aussi pas simple, car plusieurs critères doivent être réunis pour autoriser la qualification d’accident du travail :
- le caractère soudain de l’événement (coupure, chute…) ou l’apparition soudaine d’une lésion. Or, le burnout apparaît de façon lente et progressive ;
- l’existence d’une lésion corporelle. Les troubles psychiques sont aussi de plus en plus pris en compte (par exemple
- le caractère professionnel, c’est-à-dire la survenance de l’accident par le fait ou à l’occasion du travail.
Pour en savoir un peu plus, voir cet article de juritravail sur le sujet, qui comprend notamment de exemples clairs tirés de la jurisprudence.
Faire reconnaitre une inaptitude au poste de travail
Les personnes en arrêt maladie pour burnout angoissent à l’idée de gérer l’après. Elles ont souvent conscience qu’elles ne pourront pas “reprendre comme avant”. Certaines comprennent très vite qu’elles ne pourront pas retourner dans leur entreprises. Mais dès lors, comment gérer son départ?
Un peu plus haut, j’ai évoqué le cas de la résiliation judiciaire qui à mon sens, pour pleins de raisons qui seraient trop longues à détailler ici, n’est vraiment pas la plus adaptée. Il existe une autre voie que deux personnes que j’ai suivi ont choisi : celle de l’inaptitude à tenir son poste.
La reconnaissance de cette inaptitude vient du médecin du travail. Il constate une première fois l’inaptitude lors de la visite de reprise du salarié, après son arrêt de travail. Sous minimum 15 jours, il revoit le salarié pour confirmer sa décision. Dès lors, l’employeur est tenu de chercher et de proposer des possibilités de reclassement au sein de l’entreprise. Si ces possibilités n’existent pas, ou si le salarié les refuse, l’employeur pourra alors procéder au licenciement pour inaptitude. Sachant que passé un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical, le salarié déclaré inapte qui n’est ni reclassé ni licencié perçoit le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat de travail (Code du travail, art. L. 1226-4).
Précision : A l’issue de la première visite de reprise, le médecin traitant peut prescrire un nouvel arrêt maladie immédiatement pour que le salarié ne retourne pas travailler sur le poste qui l’a rendu malade. Cet arrêt maladie ne bloque pas la suite de la procédure (voir et article sur le sujet).
Reconnaitre soi-même son histoire
Quelle que soit la ou les démarches initiées, le récit de vie est important, car il constitue la base du dossier sur lequel s’appuyer pour défendre ses demandes. Je reviendrai plus spécifiquement sur cette pratique issue des sciences sociales, utilisée notamment dans les dossiers déposés à l’OFPRA pour les demandeurs d’asile. En quelques mots, le récit de vie permet :
- de s’exprimer pleinement et sincèrement, parfois pour la première fois,
- de voir clair dans ce qui s’est passé, de comprendre la situation dans sa globalité, le contexte,
- de prendre conscience du rôle joué par chacune des parties,
- de reprendre la main sur sur histoire,
- de commencer à digérer et à se reconstruire.
Et maintenant?
Je ne sais pas si la législation sur le sujet évoluera rapidement ou pas, si elle facilitera les démarches un jour. Les freins sont nombreux, les acteurs et les responsabilités multiples.
Dans tous les cas, le burnout n’est pas une fatalité. Avec du temps et des aides appropriées, chacun peut rebondir et poursuivre sa route autrement. Autrement car le burnout amène d’une manière ou d’une autre à une remise en question personnelle.
Sans un travail sur soi pour comprendre et reconnaitre les éléments personnels qui ont contribué à cette situation (surinvestissement, besoin de reconnaissance…), la personne reste dans un état de victime. Non seulement la reconnaissance extérieure (par exemple une décision de justice qui reconnait le burnout) ne suffira pas à la satisfaire et la réparer; mais elle risque aussi de revivre une situation plus ou moins similaire à terme, car elle ne saura pas la voir arriver et changer de fonctionnement et de positionnement pour y faire face.