Le contrat de travail pose le cadre entre un employeur et son salarié. L’écrit n’est pas toujours obligatoire (voir cet article sur le sujet) mais dans tous les cas, il est fortement recommandé : il permet de poser clairement les droits et obligations de chacun et les règles de fonctionnement. L’avenant au contrat de travail permettra, tout au long de la relation contractuelle, d’acter du changement de cadre si changement il y a (changement d’horaire par exemple, ou de durée de travail ou de poste).
Passée la signature du contrat, les parties rentrent dans son exécution. Et là, un article du code du travail parfois oublié entre en jeu. L’article L.1221-1 prévoit en effet que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi par les parties au contrat. A contrario, cela veut donc dire que si l’une des parties au contrat est de mauvaise foi, elle peut être condamnée pour une mauvaise exécution du contrat.
C’est l’article que les juges ont invoqué pour condamner, en appel, l’employeur de Laurence.
Sommaire
La bonne foi/mauvaise foi, c’est quoi?
La bonne foi peut se définir comme “une règle de conduite qui exige des sujets de droit une loyauté et une honnêteté exclusive de toute intention malveillante” (extrait de cet excellent article un peu ardu mais complet). Ce qu’il faut retenir? Dans un contrat de travail, chaque partie se doit d’être :
loyale c’est-à-dire fidèle à ses engagements;
- honnête dans le sens de respecter le droit (code du travail, convention collective), ne pas frauder ou dissimuler quelque chose;
- bienveillant. Il ne doit pas avoir d’intention de nuire, de faire du mal à l’autre personne.
La bonne foi dans un contrat de travail est présumée, ce qui veut dire qu’on part du principe que les deux parties vont exécuter le contrat de manière loyale, honnête et avec bienveillance. Si l’une des parties estime que ce n’est pas le cas, ce sera à elle de prouver qu’elle est victime de la mauvaise foi de l’autre partie.
Un cas concret de contentieux
Laurence est embauchée en tant qu’adjointe de boutique. Lors du recrutement, il a été clairement prévu qu’elle devienne responsable de boutique 6 mois plus tard avec une réévaluation de salaire, après le départ du responsable en poste. Rien n’est acté dans le contrat de travail ou dans une lettre d’embauche. Elle s’en étonne mais son employeur l’assure que tout se passera comme prévu.
Passé les 3 mois de période d’essai, Laurence est confirmée sur son poste d’adjointe. Au bout des 6 mois, elle prend effectivement la place du responsable précédent, assurant la gestion du magasin et l’encadrement d’une équipe de vendeurs. Mais l’intitulé de son poste et le salaire restent inchangés. Après plusieurs demandes de régularisation, elle reçoit un avenant mais avec une nouvelle période d’essai de 3 mois. A la fin de cette seconde période d’essai, l’employeur considérant que l’essai n’a pas été satisfaisant, Laurence reprend, sur le papier, le poste d’adjointe de boutique avec son ancien salaire. Mais sur le terrain, elle continue à exercer pleinement les missions et les responsabilités d’une responsable de boutique.
En parallèle, elle subit les remarques incessantes d’un des collaborateurs, situation qu’elle vit comme un harcèlement moral. Elle demande alors à changer de magasin. Ce changement est accepté moyennant une troisième période d’essai. Dans ce second magasin, elle continue à exercer les fonctions de responsable de boutique et à en assumer les responsabilités, sans en avoir le titre et le salaire.
Au bout de deux ans, elle tombe malade, le médecin déclare que son état de santé est en lien direct avec sa situation de travail. Il devient impossible pour elle de continuer dans ces conditions.
Sur les conseils d’un avocat, Laurence quitte l’entreprise sur une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail. Elle intente ensuite une action aux Prud’homme : elle sait qu’elle a vécu une situation anormale qui l’a fait souffrir et qui a fini par l’obliger à quitter son emploi. Elle veut obtenir réparation du préjudice qu’elle a subit.
Reconnaissance de la mauvaise foi par les juges
En première instance (c’est-à-dire devant le tribunal de Prud’hommes), les juges ont rejeté toutes les demandes de Laurence et l’ont condamnée aux dépends (c’est-à-dire au paiement des frais de procédure y compris ceux de la partie adverse). Pourquoi? Parce que l’avocat de Laurence avait tout axé sur le harcèlement moral. Les conclusions présentées étaient brouillonnes et approximatives. Et surtout, il ne ressortait rien de solide et de suffisant pour étayer le harcèlement moral, une infraction très difficile à prouver (comme la mauvaise foi, c’est à celui qui s’estime victime de le prouver).
En appel, les juges ont rejeté aussi le harcèlement moral, considérant que les faits et les preuves apportées ne suffisaient pas à caractériser le harcèlement. Mais le récit de vie de Laurence leur a permis de se rendre compte que la situation vécue par la salariée n’était absolument pas normale.
De là, ils ont invoqué l’article L.1221-1 du code du travail et estimé que l’employeur n’avait pas exécuté son contrat de bonne foi car :
- la salariée avait bien exercé les fonctions de responsable de boutique même si elle n’en avait pas le titre. Les pièces justificatives versées au dossier étaient pour eux un élément de preuve, tout comme l’organisation du travail décrite dans le récit de vie. L’employeur soutenait que le directeur général de la société était lui même le responsable d’une des trois boutiques de l’enseigne. Les juges ont considéré qu’un directeur général ne pouvait matériellement pas assurer ces fonctions supplémentaires;
- la multiplication des périodes d’essai (8 mois au total d’essai sur les 14 premiers mois de collaboration) n’était pas justifiée car l’employeur avait déjà pu se rendre compte des compétences de la salariée. Se faisant, il a mis la salariée en insécurité, occasionnant une souffrance qui l’a rendue malade.
Les juges ont accédé aux demandes de la salariée qui souhaitait obtenir un rappel de salaire (la différence entre le salaire d’adjointe et celui de responsable) et des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi. L’employeur, pourtant très agressif et sur de lui, ne s’est pas pourvu en cassation.